OCR Text |
Show 402 MANUEL COMPLET meurtres dans le cours de la piece, et quand le rideau tombait, il se trouvait que personne autre n'etait mort que I'auteur. La declamation la plus monotone et psalmodiante accompagnait ces airs de conspirateurs. L'acteur, en quittant le brodequin comique pour chausser le cothurne grec ou romain, croyait qu'il etait inconvenant de jouer nalurellement; il se donnait un air lugubre, sa demarche et son port etaient ceux d'un criminel montant a Pechafaud; il par-lait d'un ton lamentable et continu, fait pour accabler l'homme le plus impassible; ii s'etu-diait a donner a sa voix un tremblement con-vulsif, et trainait chaque vers lentement tout du long d'une maniere insupportable; enfin , pour produire de grands effets, il appelait a son aide de profonds et longs soupirs, tires du fond de la poitrine comme d'une filiere, si Pon peut se servir de cette expression, et des larmes, des gemissemens, des sanglots, des cris, quand il n'y avait aucun motif ni m e m e aucune excuse pour tout cet accompagnement oblige d'une douleur de parade. Le mime doit bien se garder d'imiter tous ces defauts; prive de l'usage de la parole, ces extravagances chez lui deviendraient plus ridicules encore, s'il est possible, que chez un bateleur tragique. Pourquoi n'agirions-nous pas comme ceux qui sont reeilement sous Pinfluence de cette passion que nous voulons rendre? Zaire, pour nous emouvoir, ne doit-elle jamais quitter le ton d'une amere lamentation? Est-il necessaire qu Hermione nous etourdisse sans cesse pour nous montrer la rage qui la devore? ou de faire Achille plus bouillant qui! n'est dans I'lliade, DE LA DANSE. 4o3 afin de donner au spectateur une idee dc l'impe-tuosite de son caractere? « Du sublime au ridicule, il n'est qu'un pas. » L'art theatral est la reunion de tous les autres poesie , musique , peinture, danse , pantomime architecture, etc. Ce ne sont done que les personnes instruites qui peuvent juger sainement du merite ou de la faiblesse d'une production dra-tout le monde y devient critique. Les ceuvres dramatiques ne jouissent pas des memes avan-tages que les autres productions de l'art; au theatre, on achette en entrant le droit de criti-quer une piece, et chacun prononce sans appel sur sa valeur. S'il en etait de meme dans une galerie de tableaux ou de statues, les deux tiers au moins de pareils juges avoueraient humble-ment et avec franchise qu'ils ne sont pas assez connaisseurs pour decider et motiver leur opinion sur ce qu'ils voient. Est-ii moins difficile de ju^er un poete, un compositeur ou un acteiy;,. qu'un sculpteur ou un peintre? Nous ne pensons pas ainsi. U n tableau ou une statue n'exprimant qu'une seule action, le seul mouvement d'une passion fait sur nos sens une impression qui dure au moins pendant tout le temps que nous Pavons sous les yeux, ce qui nous donne les moyens d'analyser nos idees et de prononcer un jugement en connaissance de cause. Mais il en est bien autrementdu jeu d'un acteur, qui, eu une seule heure, peint diverses passions et leurs combinaisons; pendant ce court espace de temps, il deroule une foule de tableaux dont chacun ne fait qu'une impression fugitive sur notre esprit |