Description |
Associated text from Albert Tissandier's book Six mois aux États-Unis : voyage d'un touriste dans l'Amérique du nord suivi d'une excursion à Panama (Paris : G. Masson, [1886]), p. [70]-73: "La ville de Salt Lake a 25,000 habitants, dont 18,000 mormons; le séjour y est agréable, c'est une des plus jolies villes d'Amérique. Sauf la grande rue principale où se font presque toutes les affaires et où se trouvent les magasins, les autres avenues sont plantées d'arbres, et les maisons sont entourées de jardins; de sorte que souvent dans la ville on pourrait se croire dans un parc plein de jolies fleurs et d'arbres fruitiers. Des eaux vives coulent en ruisseaux dans toutes les avenues, le long des arbres, et entretiennent la fraîcheur sous leur ombrage. Quant aux mormons, on ne s'aperçoit guère de leur présence; il faut seulement prendre garde à l'installation des maisons situées dans les jardins. On voit alors que dans une même propriété se trouvent deux ou trois pavillons isolés. Ce sont les demeures des deux ou trois épouses d'un mormon qui va leur rendre visite à son gré. Il n'a qu'à traverser une allée ou un parterre alors de son jardin. Une maison unique, quelquefois, possède alors deux étages: ce sont les logements de deux épouses, dont le mari n'est pas assez riche pour donner à chacune un pavillon séparé. La promenade la plus belle de Salt Lake city est celle de Salt Lake, le mystérieux lac salé. On peut y aller en chemin de fer en une heure et demie. Il est impossible de rêver quelque chose de plus poétique que ce lac. Ses eaux sont bleu d'azur comme le ciel même. A peine peut-on distinguer la ligne d'horizon de cette mer idéale, tant les nuances sont semblables. Les belles montagnes, encore couvertes de neige en mai dernier, servent de cadre à ses ondes calmes et limpides. Les rives sont verdoyantes et couvertes de fleurs que nous conserverions ici comme des raretés. Quelques établissements encore primitifs sont installés pour le séjour des touristes et des baigneurs. D'après l'ouvrage du Geological Survey de MM. Arnold Hague et S. F. Emmons, le Lac salé, dans les directions nord-ouest et sud-est, a dans ses plus grandes longueurs 80 milles; sa dimension la plus considérable dans la largeur est d'environ 32 milles. Les profondeurs les plus grandes se trouvent dans les parties nord-ouest, près Black Rock, entre les îles Stansbury et Antelope, et vers l'ouest, près des montagnes, elles ont environ 40 pieds. Dans les autres parties du lac, excepté auprès des îles Fremont, elles auraient 20 pieds seulement. Le Lac salé reçoit dans son lit les eaux douces de quatre grandes rivières appelées Bear, Ogden, Weber et Jordan, avec celles de quelques ruisseaux produits par l'écoulement des eaux qui descendent des monts Wahsatch vers l'ouest, et des parties situées à l'est, des chaînes de l'Uinta. Il reçoit aussi un certain volume d'eau salée qui lui est fourni par les nombreuses sources qui se trouvent le long de son rivage au pied des montagnes. Toutes ces eaux venant d'endroits divers produiraient autour du lac de grandes inondations puisqu'elles n'ont plus d'autre écoulement, mais les évaporations énormes qui ont lieu pendant les saisons sèches de l'été empêchent ces inconvénients. Les différences des thermomètres Farenheit à boule sèche ou humide varient entre 20° et 30°. D'après des informations certaines prises par des pionniers mormons et d'autres personnes, le niveau du lac en 1861 était de 11 pieds plus haut qu'en 1869, année pendant laquelle de nouvelles mesures de niveau ont été prises par les géologues du Geological Survey de Washington. La surface générale du lac, sans compter les îles, serait de 2,360 milles carrés; elle s'accroît de 40 pour 100 environ, c'est-à-dire de 660 milles. Elle est ainsi actuellement, mais il est curieux de voir que, d'après la carte donnée par Stansbury en 1849 et 1850, elle n'était alors que de 1,700 milles carrés. Entre les observations des mormons de 1861 et les travaux faits en 1869, la différence de niveau était assez considérable; mais depuis cette époque et actuellement le niveau des eaux varie faiblement. Il est loin de donner des différences semblables à celui de 1849. L'une des plus grandes particularités du lac est l'extrème densité et l'amertume piquante de ses eaux. Dans la saison d'été, les baigneurs et touristes venus de Salt Lake city peuvent en constater les effets. Ils ont peine à entrer entièrement dans ces eaux épaisses, et peuvent aisément y flotter à la manière d'un bouchon. Si on voulait plonger dans ce lac il semble qu'on aurait autant de mal à le faire que s'il s'agissait d'entrer dans un bain de mercure. Le plongeon serait dangereux d'ailleurs à cause de l'excès de sel qui se trouve dans les eaux. Les yeux du nageur auraient fort à souffrir, ils en seraient certainement presque aveuglés. Les pionniers mormons disaient autrefois que sur trois barils d'eau du lac ils pouvaient recueillir un baril de sel. Mais les expériences plus certaines de Stansbury, faites en 1850, donnaient 22,4 pour 100 de sel minéral. En 1869, à la suite des masses d'eau douce qui se sont écoulées des montagnes, on n'en trouvait plus que 14,8 pour 100. On voit ainsi qu'il y a une différence assez considérable dans la quantité de sel qu'on peut trouver dans le lac suivant les années ou les saisons. Elle provient des effets plus ou moins grands d'évaporation pendant la saison sèche et de ceux des inondations produites par les rivières qui se jettent dans le lac. Pendant longtemps on a pensé qu'aucune créature vivante ne pouvait se trouver dans le Lac salé, mais c'était une erreur. M. Sereno Watson a pu découvrir un petit crustacé presque imperceptible qui y peut faire son séjour, c'est l'Artemia fertilis qui a été décrit par le professeur A. E. Verrill. Sur les bords du lac même, dans certaines saisons, les sables sont couverts des larves des insectes qui vivent aussi dans les eaux, ils ont été décrits par M. Packard qui les a nommés Ephydra gracilis. En ramassant les grains de sable, et lorsqu'on les regarde au microscope, on remarque leur structure curieuse de forme concentrique; ils peuvent être considérés comme étant des concrétions d'origine organique formées par quelque espèce de Nucleus, ou peut-être sont-ils encore d'origine siliceuse." |